François de Salignac de La Mothe-Fénelon (1651 – 1715), dit couramment Fénelon, fut nommé archevêque de Cambrai en 1695, il a aussi été le précepteur des princes, du petit-fils de Louis XIV notamment. Il fut ensuite banni de la cour…
Les Aventures de Télémaque (1699) a été écrit pour les jeunes princes et en particulier pour le Duc de Bourgogne (le petit-fils de Louis XIV), et il a été ensuite l’un des livres les plus diffusés au cours des XVIIIème et XIXème siècles. Il est considéré comme un roman didactique ou d’apprentissage.
Nous proposons ici un passage sur le thème de la vieillesse, avec deux extraits que l’on trouve au début du roman (livre I et V). Le narrateur est dans cet extrait Télémaque (le fils d’Ulysse)…
Pendant que ces pensées roulaient dans mon esprit, je m’enfonçai dans une sombre forêt, où j’aperçus tout à coup un vieillard qui tenait dans sa main un livre. Ce vieillard avait un grand front chauve et un peu ridé ; une barbe blanche pendait jusqu’à sa ceinture ; sa taille était haute et majestueuse, son teint était encore frais et vermeil, ses yeux vifs et perçants, sa voix douce, ses paroles simples et aimables. Jamais je n’ai vu un si vénérable vieillard. Il s’appelait Termosiris, et il était prêtre d’Apollon, qu’il servait dans un temple de marbre que les rois d’Égypte avaient consacré à ce dieu dans cette forêt. Le livre qu’il tenait était un recueil d’hymnes en l’honneur des dieux. Il m’aborde avec amitié ; nous nous entretenons. Il racontait si bien les choses passées, qu’on croyait les voir ; mais il les racontait courtement, et jamais ses histoires ne m’ont lassé. Il prévoyait l’avenir par la profonde sagesse qui lui faisait connaître les hommes, et les desseins dont ils sont capables. Avec tant de prudence, il était gai, complaisant ; et la jeunesse la plus enjouée n’a point autant de grâces qu’en avait cet homme dans une vieillesse si avancée : aussi aimait-il les jeunes gens quand ils étaient dociles, et qu’ils avaient le goût de la vertu.
Bientôt il m’aima tendrement, et me donna des livres pour me consoler : il m’appelait, Mon fils. Je lui disais souvent…
(…)
Je me sentis saisi de respect et de honte, quand j’approchai de ces vieillards que l’âge rendait vénérables sans leur ôter la vigueur de l’esprit ; ils étaient assis avec ordre, et immobiles dans leurs places ; leurs cheveux étaient blancs ; plusieurs n’en avaient presque plus. On voyait reluire sur leurs visages graves une sagesse douce et tranquille ; ils ne se pressaient point de parler ; ils ne disaient que ce qu’ils avaient résolu de dire. Quand ils étaient d’avis différents, ils étaient si modérés à soutenir ce qu’ils pensaient de part et d’autre qu’on aurait cru qu’ils étaient tous d’une même opinion. La longue expérience des choses passées, et l’habitude du travail, leur donnait de grandes vues sur toutes choses : mais ce qui perfectionnait le plus leur raison, c’était le calme de leur esprit délivré des folles passions et des caprices de la jeunesse. La sagesse toute seule agissait en eux, et le fruit de leur longue vertu était d’avoir si bien dompté leurs humeurs, qu’ils goûtaient sans peine le doux et noble plaisir d’écouter la raison. En les admirant, je souhaitai que ma vie pût s’accourcir pour arriver tout à coup à une si estimable vieillesse. Je trouvais la jeunesse malheureuse d’être si impétueuse, et si éloignée de cette vertu si éclairée et si tranquille.