L’Agent secret – Joseph Conrad

…sa partie de whist* quotidienne au cercle. C’était l’habitude la plus douce de son existence, qui lui permettait, sans le secours ou l’obstacle d’aucun subalterne, de déployer les ressources généralement heureuses de son adresse.

Chaque jour, de cinq à sept, avant de revenir dîner chez lui, il jouait à son cercle, et il oubliait, pendant ces deux heures, tout ce qu’il y avait de pénible dans la vie, comme si le jeu eût été la drogue bienfaisante capable d’endormir les angoisses d’une âme déçue et tourmentée. Il avait pour partenaires le directeur d’une revue en vogue, mélancoliquement facétieux ; un avocat d’un certain âge, toujours silencieux, avec de petits yeux pétillants de malice ; et un vieux colonel, homme simple, à la mine martiale, aux mains nerveuses et brunes. Ces personnages n’étaient pour lui que des relations de cercle ; il ne les rencontrait jamais en dehors de la table de jeu. Mais tous trois paraissaient s’en approcher dans le même esprit ; compagnons de misère, ils semblaient y trouver un remède passager aux maux secrets de l’existence. Et chaque jour, alors que le soleil déclinait au-dessus des innombrables toits de la capitale, une joie impatiente et douce, comme un élan de sincère et profonde amitié, venait alléger le fardeau professionnel du commissaire-adjoint. L’Agent secret, Joseph Conrad (1857 – 1924)

*whist : jeu de cartes, d’origine britannique, dont le bridge est issu

Pour aller plus loin

Roman d’espionnage, de police et de terrorisme, par Joseph Conrad (1857 – 1924), auteur anglais d’origine polonaise.

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