Timon d’Athènes – Shakespeare

Timon

Que vois-je là ? — De l’or ! ce jaune, brillant et précieux métal ! Non, dieux bons ! — je ne fais pas de vœux frivoles : des racines, cieux sereins ! — Ce peu d’or suffirait à rendre blanc, le noir ; beau, le laid ; — juste, l’injuste ; noble, l’infâme ; jeune, le vieux ; vaillant, le lâche. — Ah ! dieux, à quoi bon ceci ? Qu’est-ce ceci, dieux ? Eh bien, — ceci écartera de votre droite vos prêtres et vos serviteurs ; ceci arrachera l’oreiller du chevet des malades. Ce jaune agent — tramera et rompra les vœux, bénira le maudit, — fera adorer la lèpre livide, placera les voleurs, — en leur accordant titre, hommage et louange, — sur le banc des sénateurs ; c’est ceci — qui décide la veuve éplorée à se remarier. — Celle qu’un hôpital d’ulcérés hideux — vomirait avec dégoût, ceci l’embaume, la parfume, — et lui fait un nouvel avril… Allons poussière maudite, — prostituée à tout le genre humain, qui mets la discorde — dans la foule des nations, je veux te rendre — ta place dans la nature.

(…)

(Il regarde l’or.)

— Ô toi, doux régicide ! cher agent de divorce — entre le fils et le père ! brillant profanateur — du lit le plus pur d’Hymen ! vaillant Mars ! — séducteur toujours jeune, frais, délicat et aimé — dont la rougeur fait fondre la neige consacrée — qui couvre le giron de Diane ! dieu visible — qui rapproches les incompatibles — et les fais se baiser ! qui parles par toutes les bouches — dans tous les sens ! Ô pierre de touche des cœurs ! — traite en rebelle l’humanité, ton esclave, et par ta vertu — jette-la dans un chaos de discordes, en sorte que les bêtes — puissent avoir l’empire du monde !

Partagez

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *