L’histoire célèbre d’un naufragé sur une île…

Dans ce passage, le héros du roman va devoir  fabriquer sa « maison » avec un peu de matériel récupéré dans l’épave de son bateau.

J’entrepris alors de me fabriquer les meubles indispensables dont j’avais le plus besoin, spécialement une chaise et une table. Sans cela je ne pouvais jouir du peu de bien-être que j’avais en ce monde ; sans une table, je n’aurais pu écrire ou manger, ni faire quantité de choses avec tant de plaisir.
Je me mis donc à l’œuvre ; et ici je constaterai nécessairement cette observation, que la raison étant l’essence et l’origine des mathématiques, tout homme qui base chaque chose sur la raison, et juge des choses le plus raisonnablement possible, peut, avec le temps, passer maître dans n’importe quel art mécanique. Je n’avais, de ma vie, manié un outil ; et pourtant, à la longue, par mon travail, mon application, mon industrie, je reconnus enfin qu’il n’y avait aucune des choses qui me manquaient que je n’eusse pu faire, surtout si j’avais eu des instruments. Quoi qu’il en soit, sans outils, je fabriquai quantité d’ouvrages ; et seulement avec une hache et une herminette, je vins à bout de quelques-uns qui, sans doute, jusque-là, n’avaient jamais été faits ainsi ; mais ce ne fut pas sans une peine infinie. Par exemple, si j’avais besoin d’une planche, je n’avais pas d’autre moyen que celui d’abattre un arbre, de le coucher devant moi, de le tailler des deux côtés avec ma cognée jusqu’à le rendre suffisamment mince, et de le dresser ensuite avec mon herminette. Il est vrai que par cette méthode je ne pouvais tirer qu’une planche d’un arbre entier ; mais à cela, non plus qu’à la prodigieuse somme de temps et de travail que j’y dépensais, il n’y avait d’autre remède que la patience. Après tout, mon temps ou mon labeur était de peu de prix, et il importait peu que je l’employasse d’une manière ou d’une autre.
Comme je l’ai dit plus haut, je me fis en premier lieu une chaise et une table, et je me servis, pour cela, des bouts de bordages que j’avais tirés du navire. Quand j’eus façonné des planches, je plaçai de grandes tablettes, larges d’un pied et demi, l’une au-dessus de l’autre, tout le long d’un côté de ma grotte, pour poser mes outils, mes clous, ma ferraille, en un mot pour assigner à chaque chose sa place, et pouvoir les trouver aisément. J’enfonçai aussi quelques chevilles dans la paroi du rocher pour y pendre mes mousquets et tout ce qui pouvait se suspendre.
Si quelqu’un avait pu visiter ma grotte, à coup sûr elle lui aurait semblé un entrepôt général
d’objets de nécessité. J’avais ainsi toutes choses si bien à ma main, que j’éprouvais un vrai plaisir à voir le bel ordre de mes effets, et surtout à me voir à la tête d’une si grande provision.

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