Les Mystères du château d’Udolphe est un roman gothique de l’écrivaine Ann Radcliffe (1764 – 1823)
Le roman gothique ou « roman noir » est né en Angleterre dans la seconde moitié du XVIIIème siècle. Dans ces romans, on trouve des fantômes, des personnages terrifiants, de la peur, de l’horreur…
Une fille était désormais son unique enfant. Il veilla sur le développement de son caractère, et travailla sans relâche à la maintenir dans les dispositions les plus propres au bonheur. Elle avait annoncé, dès ses premiers ans, une rare délicatesse d’esprit, des affections vives, et une facile bienveillance ; mais on pouvait distinguer néanmoins une susceptibilité trop grande pour comporter une paix durable. En avançant vers la jeunesse, cette sensibilité donna un tour réfléchi à ses pensées, une douceur à ses manières, qui ajoutaient la grâce à la beauté, et la rendaient bien plus intéressante aux personnes douées d’une disposition analogue. Mais Saint-Aubert avait trop de bon sens pour préférer un charme à une vertu ; il avait assez de pénétration pour juger combien ce charme était dangereux à celle qui le possédait, et il ne pouvait s’en applaudir. Il tâcha donc de fortifier son caractère, de l’habituer à dominer ses penchants ; et à se maîtriser elle-même ; il lui apprit à retenir le premier mouvement, et à supporter de sang-froid les innombrables contrariétés de la vie. Mais pour lui apprendre à se contraindre, à se donner cette dignité calme qui peut seule contrebalancer les passions et nous élever au-dessus des événements et des disgrâces, lui-même avait besoin de quelque courage, et ce n’était pas sans effort qu’il paraissait voir tranquillement les larmes, les petits chagrins, que sa prévoyante sagacité occasionnait quelquefois à Émilie.
Émilie ressemblait à sa mère. Elle avait sa taille élégante, ses traits délicats ; elle avait comme elle des yeux bleus, tendres et doux ; mais quelque beaux que fussent ses traits, c’était surtout l’expression de sa physionomie, mobile comme les objets dont elle était affectée, qui donnait à sa figure un charme irrésistible.
Saint-Aubert cultiva son esprit avec un extrême soin. Il lui donna un aperçu des sciences, et une exacte connaissance de la meilleure littérature. Il lui montra le latin et l’italien, désirant surtout qu’elle pût lire les poèmes sublimes écrits dans ces deux langues. Elle annonça, dès les premières années, un goût décidé pour les ouvrages de génie, et c’était un principe pour Saint-Aubert de multiplier ses moyens de jouissances. Un esprit cultivé, disait-il, est le meilleur préservatif contre la contagion des folies et du vice. Un esprit vide a toujours besoin d’amusements, et se plonge dans l’erreur pour éviter l’ennui. Le mouvement des idées fait de la réflexion une source de plaisirs, et les observations fournies par le monde lui-même compensent les dangers des tentations qu’il offre. La méditation et l’étude sont nécessaires au bonheur, soit à la campagne, soit à la ville. À la campagne, elles préviennent les langueurs d’une indolente apathie, et ménagent de nouvelles jouissances dans le goût et l’observation des grandes choses ; à la ville, elles rendent la dissipation moins nécessaire, et par conséquent, moins dangereuse.