La Princesse de Clèves – Madame de Lafayette

Premier roman français moderne, voire roman psychologique : l’auteure écrit sur la psychologie des personnages, elle analyse leurs sentiments, ce qui est assez nouveau dans la France du XVIIème siècle.

Dans ce passage, la mère (Mme de Chartres) est malade et craignant sa mort prochaine, elle veut donner des conseils à sa fille (Madame de Clèves). 

– Il faut nous quitter, ma fille, lui dit-elle en lui tendant la main ; le péril où je vous laisse et le besoin que vous avez de moi augmentent le déplaisir que j’ai de vous quitter. Vous avez de l’inclination pour M. de Nemours ; je ne vous demande point de me l’avouer : je ne suis plus en état de me servir de votre sincérité pour vous conduire. Il y a déjà longtemps que je me suis aperçue de cette inclination ; mais je ne vous en ai pas voulu parler d’abord, de peur de vous en faire apercevoir vous-même. Vous ne la connaissez que trop présentement, vous êtes sur le bord du précipice : il faut de grands efforts et de grandes violences pour vous retenir. Songez ce que vous devez à votre mari, songez ce que vous vous devez à vous-même, et pensez que vous allez perdre cette réputation que vous vous êtes acquise, et que je vous ai tant souhaitée. Ayez de la force et du courage, ma fille ; retirez-vous de la cour, obligez votre mari de vous emmener ; ne craignez pas de prendre des partis trop rudes ou trop difficiles : quelque affreux qu’ils vous paraissent d’abord, ils seront plus doux dans la suite que les malheurs d’une galanterie. Si d’autres raisons que celles de la vertu et de votre devoir vous pouvaient obliger à ce que je souhaite, je vous dirais que, si quelque chose était capable de troubler le bonheur que j’espère en sortant de ce monde, ce serait de vous voir tomber comme les autres femmes ; mais si ce malheur doit vous arriver, je reçois la mort avec joie, pour n’en être pas le témoin.
Mme de Clèves fondait en larmes sur la main de sa mère, qu’elle tenait serrée entre les siennes, et Mme de Chartres, se sentant touchée elle-même :
– Adieu, ma fille, lui dit-elle, finissons une conversation qui nous attendrit trop l’une et l’autre, et souvenez-vous, si vous pouvez, de tout ce que je viens de vous dire.
Elle se tourna de l’autre côté en achevant ces paroles, et commanda à sa fille d’appeler ses femmes, sans vouloir l’écouter, ni parler davantage. Mme de Clèves sortit de la chambre de sa mère en l’état que l’on peut s’imaginer…

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