La Lettre écarlate – Nathaniel Hawthorne

Le narrateur est issu d’une très ancienne famille de Salem, dans l’Etat du Massachusetts, au nord-est des Etats-Unis. La ville de Salem est célèbre pour les procès en sorcellerie qui s y sont déroulés en 1692 et 1693. L’arrière-arrière-grand-père de l’écrivain, John Hathorne, fut un des juges de ces procès qui ont marqué l’Histoire des Etats-Unis. On dit que Nathaniel ajouta un « w » à son nom pour se démarquer du souvenir de son ancêtre…

Ces longs rapports entre une famille et son lieu de naissance et de sépulture créent entre un être humain et une localité un lien de parenté qui n’a rien à voir avec l’aspect du pays ni avec les circonstances. Ce n’est pas de l’amour, mais de l’instinct. Le nouvel habitant de Salem, celui qui vient de l’étranger, ou dont en venait le père ou le grand-père, n’a que peu de droits au titre de Salemite. Il n’a aucune idée de la ténacité d’huître avec laquelle un vieux colon qui approche de son tricentenaire s’incruste dans cet endroit de toutes les forces de générations successives. Il n’importe absolument pas qu’à ses yeux la ville soit morne, qu’il soit las des vieilles maisons de bois, de la boue et de la poussière, du bas niveau de l’altitude et des sentiments, du vent d’est glacial et d’une atmosphère sociale plus glaciale encore – tout cela et tous les autres défauts qu’il peut voir ou qu’il imagine ne changent rien à rien. Le charme subsiste et agit aussi puissamment que si ce lieu de naissance était un Paradis Terrestre. Il en a été ainsi en mon cas. Tandis qu’un représentant de ma race descendait au tombeau, un autre n’était-il pas toujours venu le relever, pour ainsi dire, de la garde qu’il montait à titre de passant dans la Grand-Rue ? J’ai senti que c’était en quelque sorte mon destin d’habiter Salem afin qu’un type physique et une tournure de caractère qui, toujours, constituèrent un des traits familiers de la vieille ville, continuent d’y figurer ma courte vie durant. Ce sentiment est pourtant en lui-même la preuve que le lien en question est devenu malsain et qu’il est temps de procéder à une séparation. La nature humaine, pas plus qu’un plant de pommes de terre, ne saurait prospérer si on la pique et repique pendant trop de générations dans le même sol. Mes enfants ont eu d’autres lieux de naissance et, dans la mesure où je pourrai agir sur leurs destinées, ils iront enfoncer des racines dans un sol nouveau.

Quand je quittai le vieux presbytère, ce fut surtout cet étrange, cet indolent et morne attachement pour ma ville natale qui me poussa à venir occuper un poste dans le susdit édifice en briques de l’Oncle Sam alors que j’aurais aussi bien, voire mieux fait d’aller ailleurs. Mon destin se ressaisissait de moi. Ce n’était pas la première fois ni la seconde que j’étais parti de Salem – pour toujours semblait-il – et que je revenais, tel un sou faux, ou comme si Salem était pour moi le centre du monde.
C’est donc ainsi qu’un beau matin j’escaladai l’escalier de granit, nomination en poche, pour apparaître au corps des fonctionnaires qui allaient m’aider à porter mes lourdes responsabilités d’inspecteur des Douanes.

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