De la tranquillité de l’âme – Sénèque

Sénèque, philosophe et homme d’Etat romain du 1er siècle après Jésus Christ, expose dans ce livre les principes du stoïcisme : réflexion et cas pratiques… 

Du choix des amis

[7,1] Toutefois, il n’est rien qui puisse donner plus de contentement à l’âme qu’une amitié tendre et fidèle. Quel bonheur de rencontrer des cœurs bien préparés, auxquels
vous puissiez, en toute assurance, confier tous vos secrets, qui soient, à notre égard, plus indulgents que nous-mêmes, qui charment nos ennuis par les agréments de leur conversation, fixent nos irrésolutions par la sagesse de leurs conseils, dont la bonne humeur dissipe notre tristesse, dont la seule vue enfin, nous réjouisse ! Mais il faut, autant que possible, choisir des amis exempts de passions, car le vice se glisse sourdement dans nos cœurs ; il se communique par le rapprochement ; c’est un mal contagieux.


[7,2] En temps de peste, il faut bien se garder d’approcher les individus malades, et qui déjà sont atteints du fléau, parce que nous gagnerions leur mal, et que leur haleine seule pourrait nous infecter ; ainsi, quand nous voudrons faire choix d’un ami, nous mettrons tous nos soins à nous adresser à l’âme la moins corrompue. C’est un commencement de maladie, que de mettre les personnes saines avec les malades ; non que j’exige de vous de ne rechercher que le sage, de ne vous attacher qu’à lui : hélas! où le trouverez-vous, celui que nous cherchons depuis tant de siècles ? Pour le meilleur, prenons le moins méchant.

[7,3] À peine auriez-vous pu vous flatter de faire un choix plus heureux, si, parmi les Platon, les Xénophon, et toute cette noble élite sortie du giron de Socrate, vous eussiez cherché des hommes de bien ; ou si vous pouviez revenir à ce siècle de Caton, qui produisit sans doute des personnages dignes de naître au temps de Caton, mais aussi autant de scélérats, autant de machinateurs de grands crimes qu’on en ait jamais vu. Il fallait en effet, et des uns et des autres ; pour que Caton pût être connu, il devait avoir et des gens de bien pour obtenir leur approbation, et des méchants pour mettre sa vertu à l’épreuve. Mais aujourd’hui qu’il y a si grande disette de gens de bien, faisons le choix le moins mauvais possible.

[7,4] Évitons surtout les gens moroses qui se chagrinent de tout, et pour qui tout est un sujet de plainte. Quelque fidèle, quelque dévoué que soit un ami, un compagnon, toujours troublé, toujours gémissant, n’en est pas moins le plus grand ennemi de notre tranquillité.

Partagez