Mary Shelley, (son nom de naissance est Mary Wollstonecraft Godwin) à l’âge de 17 ans, commence à écrire Frankenstein après s’être lancée dans un « défi littéraire » avec les poètes Byron et Shelley (Shelley deviendra l’époux de Mary) : qui écrira l’histoire la plus effrayante ?
Dans ce passage, un des personnages part sur un bateau, pour une expédition au Pôle Nord et écrit ici une lettre à sa sœur…
Que le temps passe lentement ici, où je suis entouré par la glace et par la neige ! Mais j’ai progressé d’un pas dans mon entreprise. J’ai loué un vaisseau et je suis occupé à réunir des matelots. Ceux que j’ai déjà engagés semblent être des hommes sur lesquels je puis compter et qui, à coup sûr, possèdent un courage inébranlable.
Mais un de mes souhaits n’a pas encore pu être exaucé et cette lacune est pour moi le plus grand des maux. Je n’ai pas d’ami, Margaret : si je suis entraîné par l’enthousiasme du succès, personne ne pourra participer à ma joie. Si je rencontre quelque revers, qui me redonnera du courage ?
Je confierai mes pensées au papier, il est vrai, mais c’est un pauvre moyen de communiquer ses sentiments.
J’aimerais avoir la compagnie d’un homme qui sympathiserait avec moi et dont le regard répondrait au mien. Vous devez me juger romantique, ma chère sœur, mais j’ai réellement besoin d’un ami. Je ne connais personne près de moi qui soit affectueux et courageux, qui ait quelque culture, des goûts semblables aux miens, qui aime ce que j’aime, qui puisse approuver ou amender mes plans. Comment trouver un ami capable de réparer les fautes de votre pauvre frère ! Je suis trop ardent dans l’exécution de mes travaux et trop impatient devant les difficultés. Mais le plus grave, c’est que je me suis éduqué moi-même : durant les quatorze premières années de mon existence, je n’ai rien fait que de banal et je n’ai lu que les livres de voyage de l’oncle Thomas. À un âge plus avancé, j’ai commencé à découvrir les poètes les plus célèbres de notre pays mais ce n’est que lorsque je me suis rendu compte que je ne pouvais plus en tirer profit que j’ai compris à quel point il était nécessaire d’apprendre la langue des autres pays. À présent, j’ai vingt-huit ans et, en réalité, je suis moins cultivé que la plupart des garçons de quinze ans. Il reste que je pense davantage et que mes songeries sont plus vastes et plus magnifiques, quoiqu’elles manquent de cohérence (comme le disent les peintres). Oui, j’ai grandement besoin d’un ami – un ami qui serait assez sensé pour ne pas me prendre pour un romantique et dont la compagnie pourrait quelque peu tempérer mes extravagances.
Baste, ce sont là des plaintes inutiles ! Ce n’est certainement pas dans l’océan immense que je trouverai un ami, ni davantage ici à Archangel, parmi les marchands et les marins. Toutefois, des sentiments qu’on ne s’attend pas à rencontrer chez des êtres rudes animent certains cœurs. Mon lieutenant, par exemple…